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Misc. Notes | ||||||||||||||||||
Matricule : 1643. - In le Figaro n° 315 du 11 novembre 1886 (BnF-Gallica) : Claude César Armand RAYBIER, lieutenant au 1er (!?) régiment de tirailleurs tonkinois, a été tué dans un combat livré à Thanh Hóa (Tonkin) le 3 novembre 1886. - Témoignage bouleversant et poignant du comte Marc le BÈGUE de GERMINY (1860-1935) :219 - Le 9 (sic !?) novembre 1886, le lieutenant Raybier, de la 13e compagnie du 2e régiment de tirailleurs tonkinois, tombe avec ses 50 hommes dans une embuscade à Tung-Voï (Than-Hoa) et y périt (dans des conditions atroces) avec 32 des siens. - Nous sommes tombés, en effet, sur le théâtre du combat qui, quelques jours auparavant, avait été fatal à la colonne volante du lieutenant Raybier. Des caisses à vivres éventrées, des débris d'équipement, tels que des ceinturons et des salakos dépouillés de leurs cuivres et abandonnés dans la brousse bordant le sentier, nous ont conduits au fortin contre lequel était venu si imprudemment se heurter le malheureux détachement. Par simple mesure de prudence, car il est certain que les rebelles n'auront pas attendu dans leur repaire, si fortifié qu'il soit, l'arrivée de 700 assaillants accompagnés de deux pièces, le colonel Metzinger fait canonner la redoute que fouillent bientôt les tirailleurs tonkinois. Elle est évacuée, mais les vastes cases, les traces nombreuses de feux, les multiples trous à ordure témoignent du long séjour d'une bande importante. Ressortant sur le gris des paillotes et la verdure des bambous et des aréquiers, une petite pagode blanche et rouge, bien proprette, toits vernis et colonnes laquées, se remarque tout de suite et jette une note claire et gaie à l'intérieur de ce coupe-gorge. Entourée de trois côtés par un profond ravin, lit d'un arroyo à sec, la redoute est fermée à la gorge. C'est, en cette brousse désolée, une presqu'île fortifiée, quasi imprenable. Guidant les éclaireurs, prudemment, curieusement, je me faufile entre les buissons, écartant les larges feuilles des lataniers, me déchirant les mains aux rigides aloès et aux touffes épaisses des cactus. Je suis les bords du ravin, essayant d'y plonger mes regards..... Brusquement je m'arrête, suffoqué par une épouvantable odeur de pourriture, la vue choquée par un spectacle inattendu. A travers les hautes herbes, j'aperçois, tout au fond du fossé, un alignement de corps sans tête, putréfiés, ballonnés, au-dessus desquels bourdonnent des essaims de mouches mordorées. Je compte et recompte les cadavres. Il y en a trente-deux, tous couchés sur le dos. Grâce à leur structure et à leur carrure, les corps des Européens se reconnaissent dans le rang sinistre. Ce m'est presque un soulagement de remarquer — chose étrange! — que les rebelles ont laissé leurs pantalons à ces malheureux. Question de sentiment ou de pudeur ? Non. Manque de temps probablement; voilà tout. Nus, les torses en décomposition apparaissent noirs, verts par place, et, lorsque les rayons solaires se glissent entre les interstices des feuilles et parviennent jusqu'aux profondeurs du ravin, le lugubre alignement étincelle et reluit dans la pluie d'or des mouches. Je cherche immédiatement à fermer les yeux. Cloué d'horreur, combien de temps ai-je, malgré moi, contemplé l'atroce spectacle ? Quand je puis enfin me reculer, m'arracher à cette place où j'ai vécu un inoubliable cauchemar ; lorsque, voulant dissiper ces visions pénibles et fuir mon isolement, je regarde avidement de tous côtés, cherchant quelque être en vie, quelqu'un des miens, ne serait-ce qu'un simple tirailleur ou même qu'un humble coolie, j'aperçois, penchés au-dessus du ravin, une dizaine de mes soldats. A leur pâleur extrême, à leurs yeux dilatés par l'angoisse, à leur immobilité de statue, je devine que, comme moi, il y a quelques instants à peine, terrifiés par le lamentable tableau, ces vivants ont peur de ces trépassés. Dans la brousse funeste, rien ne bouge. Pas un bruit. Tout est mort. 6 heures du soir. — Des cercueils bâtis grossièrement, à la hâte, faisant face aux cadavres voilés par les couvertures des tirailleurs, et formant comme une rue macabre en ce coin de pays triste et perdu où les images de mort vous obsèdent et vous hantent. Hier, c'était leur tour. De qui l'heure sonnera t-elle demain? Malgré la disparition des plaques d'identité, les corps des soldats tombés ici pour la France ont été vite reconnus à certains indices. Ils sont là, les 32 corps sans tête, rangés en bataille comme pour une revue suprême, les sergents Guillaulie et Richard tenant la droite. D'une voix douce, émue, mais très distincte, le P. Aubert récite les dernières prières, et nous les répétons avec une ferveur qu'y mettront, je l'espère, ceux qui, un jour aussi, les diront pour nous. Aux côtés du colonel Metzinger, nous sommes là, narines bouchées, la tête découverte au mépris du soleil oblique et traître, le coeur remué, les bras ballants et les yeux mouillés de larmes en dépit de notre insouciance de coloniaux blasés. Conduits par des tirailleurs, des coolies s'approchent d'un pas incertain. Ils titubent et — détail atroce en la circonstance — ils chantonnent, car les cadavres dégagent une odeur telle qu'il a fallu gaver d'eau-de-vie nos porteurs pour les forcer à hisser du ravin les misérables dépouilles. Remués, soulevés de leurs couches boueuses et sanglantes, les cadavres pourris se sont déformés, désagrégés, comme s'ils voulaient protester contre le brutal toucher des mains profanatrices. Ne vont-elles pas, ces pauvres guenilles, s'en aller par morceaux, s'émietter à de nouveaux contacts ? Il faudra bien pousser jusqu'au bout l'horrible moyen, le seul : distribuer généreusement l'eau-de-vie, abrutir encore les coolies, pour parachever la lugubre besogne de cette mise en bière réaliste. Des falots s'allument. Tout revêt dans la nuit un caractère sinistre : beuglement des grenouilles-boeuf, ululements des chouettes, nos pas discrets, les heurts sourds de quelque coolie buttant contre les cercueils. Ils hoquètent, ces hideux serviteurs des morts ; les tirailleurs bâillent ets'étirent sans retenue; mais nous entendons aussi — Dieu merci! — des soupirs étouffés, presque des sanglots. Au loin le tigre chasse ; plus près le vent gémit dans les herbes. Et cela fait comme la vibration prolongée de quelque chose de très triste, comme une musique à l'unisson de la scène funèbre et nocturne. N.B. : la transcription de l’acte de décès sur le registre d’état civil de la commune d’Alata donne d’autres indications sur le lieu du décès (Hué-Son ?, province du Thanh-Hóa), le nom du fort (Can-Tinh ?) et sa localisation (devant Hué-Son ?), mais c’est si mal écrit que je n’ai pas su les lire avec certitude ! | ||||||||||||||||||
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Last Modified 14 Nov 2018 | Created 11 Dec 2022 using Reunion for Macintosh |